Comment passer de l’individuel au collectif ? Comment fait-on groupe à partir de gens qui ne se connaissent pas, qui ne sont pas venus assister à une réunion de Table de Quartier pour les mêmes raisons, qui ont chacun envie de faire quelque chose de différent ? Cette réponse revient constamment lorsqu’on se demande comment faire pour donner la parole aux habitants. Les salariés de l’association Capacités qui animent la Table de Quartier Amiraux Simplon Poissonniers, développent leurs outils. La réunion du 13 octobre 2015, après un an de création de la Table, est un exemple des morceaux de solution, des pistes intéressantes et pertinentes trouvées par l’association. Une quarantaine de personnes étaient présentes, et la réunion a duré environ deux heures.

Les animateurs de Capacités ont créé quatre « moments » différents de réunion, qui ont abouti sur la création de groupes de travail collectifs sur des enjeux spécifiques :

1) Une restitution des temps précédents sous la forme de la déambulation qui remet la réunion dans son contexte

2) Un temps long d’écoute de toutes les personnes présentes, sur le mode du « tour de table », qui aboutit sur une synthèse des choses dites, et la mise en avant de deux, trois enjeux qui ressortent.

3) Un temps de travail par petits groupes, selon les intérêts et les envies, en installant une table par enjeu. Ces groupes avaient pour objectif de définir plus clairement l’enjeu, d’échanger leurs numéros de téléphones et de fixer un RDV pour la suite.

4) Un retour en grand groupe pour conclure et se projeter vers la suite

Cet article se propose de reprendre plus en détail le déroulé de la réunion, et les raisons pour lesquelles elle a abouti sur la création de ces groupes :

  • Remettre l’action en contexte : une déambulation dans la salle

La réunion du 13 octobre 2015 se situe dans un moment plus large de mobilisation de la part de l’association Capacités. La Table de Quartier Amiraux Simplon Poissonniers existe depuis début 2015. Elle a déjà produit de nombreux documents, issus de différents temps d’échange : des réunions publiques, des ateliers dans la rue et dans les espaces publics du quartier. Ce contexte, cette histoire, c’est ce qui permet aux animateurs de préparer, d’anticiper la réunion du 13 octobre en fonction de ces mobilisations précédentes : si la Table a réussi à constituer des groupes, du collectif, à la fin de la réunion, c’est d’abord grâce à ce travail en amont.

Ce contexte est rendu public : il est affiché sur les murs de la salle de la réunion. Ces affiches démontrent que la réunion du 13 octobre ne part pas de zéro. C’est pourquoi le premier temps de réunion est un temps de déambulation dans la pièce, où sont accrochées des affiches qui présentent les temps précédents : les mobilisations effectuées, ce que la Table a produit comme documents, comme préconisations, les problèmes sur lesquels elle s’est déjà mobilisée. Les participants sont invités à prendre des notes, mais également à noter leurs questions, leurs envies, sur des panneaux thématiques : un panneau par enjeu sur lequel la Table s’est déjà mobilisée. D’autres panneaux ont été laissés vides pour pouvoir faire émerger de nouveaux sujets. Durant ce temps libre de déambulation, les animateurs de Capacités sont présents pour répondre aux questions et échanger avec les participants.

DSCN3191Pendant la déambulation, les participants notent des idées, des envies

  • Une écoute attentive de tout le monde

Après ce premier temps, tout le monde s’installe sur des chaises disposées en « U » autour des panneaux et de deux animateurs de Capacités : Zoé et Félix. On prend le temps de faire un tour de Table. Cela peut paraître anodin ou évident, mais cette étape de l’écoute est primordiale. Pour la quarantaine de personnes présentes à la réunion de la Table de Quartier, la même question est posée : qui êtes-vous, et pourquoi êtes-vous là ce soir ? Nous prenons le temps qu’il faut pour écouter la parole de chacun. A égalité. Certaines personnes ont déjà assisté aux dernières réunions et viennent apporter de nouvelles informations sur des enjeux sur lesquels la Table est déjà mobilisée. D’autres viennent pour la première fois, et font ressortir de nouvelles choses.

Chaque personne présente peut s’exprimer, et donc, toutes les raisons pour lesquelles les gens sont là sont valorisées. Ce temps permet de ne pas mettre les « habitués » en avant par rapport aux « nouveaux »; surtout, ça montre qu’il n’y a pas de bonnes et de mauvaises raisons de venir, comme il n’y a pas de bon de et mauvais « intérêt ». Le critère principal est : est-ce que c’est susceptible de mobiliser plusieurs personnes, de « faire groupe »?

Là, c’est à l’animateur de percevoir le potentiel collectif derrière la parole de chacun. Lors de la réunion, les deux animateurs occupent ce rôle : pendant que Félix note, sur les panneaux, des paroles exprimées – ce qui permet de voir quand le même enjeu revient plusieurs fois – Zoé note dans sa tête le fait que telle et telle personne témoignent du même problème, de la même envie. Ici, l’anticipation liée à un an d’existence de la Table facilite le travail : du fait des précédentes mobilisations, Zoé savait déjà, en partie, les thèmes susceptibles de ressortir.

Les animateurs n’aident pas les personnes présentes en répondant à leurs questions, ils accompagnent la construction d’une réponse collective. A un moment du tour de Table, une personne se demande si elle est « au bon endroit », car elle n’a pas l’impression que son problème intéresse les autres personnes présentes. Surtout, elle n’a pas l’impression que quelqu’un autour de la Table, puisse lui apporter une réponse : il n’y a pas d’élus présents, qui pourraient lui donner ce qu’elle est venue chercher. Zoé lui répond :

« Je n’en sais rien. C’est à nous, collectivement, de décider si le problème que tu poses sera porté par la Table de Quartier. Par contre, ce que j’ai vu, c’est que tu n’es pas la première à poser ce problème là… »

DSCN3228Prise de parole pendant le tour de Table

  • Le passage des paroles individuelles à des groupes

La grande réussite des animateurs de la réunion du 13 octobre 2015 est de parvenir à conclure le temps de « tour de table » par un appel à la création de groupes. Et ce, de manière très volontariste. D’abord, Zoé soulève quelques thématiques qui semblent avoir le plus émergé lors de la réunion, parmi lesquelles :

  1. le sentiment d’insécurité et les nuisances liées à la présence, jusque très tard dans la nuit, de jeunes alcoolisés dans une rue du quartier
  2. la volonté de construire une « Maison de Quartier »
  3. la construction d’un site web collaboratif pour que les habitants puissent plus facilement participer

Après ce petit temps de synthèse, Sarah, une autre animatrice salariée de Capacités, engage les personnes présentes à se rassembler :

« Bon il y a un groupe pour la rue, là, on se retrouve, on s’organise en petits groupes et on y va ! ».

L’équipe joint le geste à la parole et installe plusieurs petites tables, alors que la réunion était jusque là en « U » .

 

schema 2 tdq 13102015Le passage d’un format en « U » à des groupes de travail

Chaque personne intéressée par un des trois enjeux soulevés s’installe à sa Table. D’autres décident de retourner voir les affiches installées tout autour de la pièce par Capacités : ils ne sont pas intéressés par ces trois enjeux, mais s’intéressent tout de même à la dynamique de la Table.

Même si ces temps de travail en petits groupes commencent tard et ne sont pas très productifs puisque certaines personnes doivent partir, des numéros de téléphones sont échangés, et des rendez-vous pris pour des réunions en petits-groupes, pour réellement avancer sur tel ou tel enjeu.

  • Conclure!

La dernière étape est cruciale : il s’agit de valoriser tout le travail effectué pendant la réunion. On se remet sur les chaises en « U » pour un petit temps de synthèse de la part de Zoé. Chaque groupe est également amené à raconter ce qui s’est dit sur sa Table, et surtout les engagements pris pour la suite (des échanges; une réunion; une action…). Une date est fixée, pour une prochaine réunion large qui permettra de faire le point sur l’avancée des groupes de travail lancés. Ainsi, tout le monde prend conscience des avancées de la réunion, et peut s’engager dans les prochains temps, dans le but de construire de l’action collective.

 

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